JURA-THAI-DISCOVER and Caves of Thailand

LES AVENTURES DE MARCEL BARDIAUX

 

 

Marcel Bardiaux est un navigateur et écrivain français né en 1910 et mort en 2000. Il est le premier solitaire à avoir franchi le cap Horn d'est en ouest (contre les vents dominants), en plein hiver (austral) 1952 à la barre d'un voilier de 9,38 m en bois. Champion de France et champion d’Europe de kayak, dans les années précédent la 2eme guerre mondiale, la descente du Rhône fut un de ses entrainements.

 

Ses voyages lui ont inspiré 6 livres, la plupart publié à compte d’auteur : Aux 4 vents de l’aventure T1 & 2 – Les aventures de Marcel Bardiaux – La mer ou la fille (co-écrit avec sa compagne) – Aux 4 vents de mes amours – Entre 2 tours du monde et enfin l’Ecole de la vie.

 

 

 

 

 

Une véritable "première"

 

 

   J'embarquai au lieu dit « Les Pertes du Rhône ».
    A cet endroit, en effet, la majeure partie des eaux du fleuve disparaît sous terre, ou plutôt sous roche. Il me faut donc tout d'abord, contourner cet entonnoir terrifiant qui semble vouloir aspirer tout ce qui passe à sa portée. La moindre faute, ici, serait fatale. Rien de ce qui disparaît en cet endroit n'a été retrouvé...
Un peu plus loin je réussis un portage acrobatique à travers l'usine électrique de Bellegarde. Une passerelle métallique enjambe les eaux bouillonnantes à la sortie des turbines. C'est là qu'il me faut embarquer à l'aide d'une corde.
    Mais avant d'y arriver, j'ai dû certifier par écrit que je m'étais introduit dans l'usine sans autorisation et malgré l'interdiction formelle de l'ingénieur qui s'opposait à mon embarquement.
En dehors de l'usine, c'est la crevasse lisse, pareille à un mur de ciment, sans la moindre fissure où s'accrocher. Aucune possibilité d'atteindre le fond, impossible d'y descendre un kayak, si léger soit-il. Du fond, pas question d'en sortir autrement qu'en suivant le torrent dont les vagues impressionnantes donnent le frisson. Pendant plus d'une heure, j'use ainsi ma salive à démontrer à ce brave homme que s'il s'obstine à me défendre d'embarquer au seul endroit possible, c'est-à-dire à la passerelle, il portera une lourde responsabilité… car je suis décidé à embarquer par n'importe quel moyen.
    Devrai-je plonger du haut de cette crevasse de quatre-vingts mètres ? alors que de la passerelle, c'est relativement facile.
    Facile… hum !
    J'en suis moins convaincu lorsque les parois entament une partie endiablée de ping-pong avec mon kayak comme balle. Je suis très proprement retourné avant d'avoir eu le temps de me ponter, mais, grâce à un rapide esquimautage, l'eau n'a pas le temps de pénétrer. J'en suis quitte pour un demi-bain d'eau glacée.
Emporté à une vitesse folle, mon plus grand souci est d'éviter d'être mis en travers. Des remous d'une violence inouïe s'acharnent sur mon kayak. A certains endroits, les gorges se resserrent à tel point que ma pagaie en heurte les deux parois. Si jamais une pointe de mon kayak s'engage dans une de ces aspérités, c'est sa perte irrémédiable. La largeur du torrent ne permet pas de tourner en de nombreux endroits et, si robuste soit mon bateau, il ne résisterait pas une seule seconde à un tel courant.
Je dis bien l'une des pointes, car ce n'est pas toujours l'avant qui passe en premier ! Et quand je me trouve ainsi entraîné en marche arrière, il me faut parfois attendre assez longtemps l'occasion de faire demi-tour. La hauteur des vagues rend celui-ci assez périlleux et je peux affirmer que, sans l'esquimautage, de tels passages sont impossibles à franchir, quelque soit le bateau employé.
    A un certain endroit je reçois une douche d'eau glacée. C'est la Valserine. Elle tombe en cascade d'une hauteur impressionnante. J'ai prudemment évité la chute elle-même qui eut inévitablement réduit l'homme et le bateau à l'état de « descente de lit », mais les éclaboussures seules me perforent déjà la peau.
Les parois sont profondément creusées à fleur d'eau dans les coudes très brusques que forme cette crevasse, où le soleil ne pénètre jamais. C'est ce que je redoute le plus.
Contre le courant je peux toujours lutter. Les vagues on les voit, les rochers aussi. Mais je suis sans défense sous ces corniches profondes, car ma seule arme, ma pagaie, ne peut m'être d'aucun secours. Pour éviter d'être drossé sous ces « tombes » pour bateau, il faut gagner le courant de vitesse afin de pouvoir manoeuvrer au moment opportun et virer « à la corde », au risque de laisser des lambeaux de la peau des coudes et des épaules sur les parois rocheuses.
Soudain, je me trouve face à face avec un énorme bloc de plusieurs mètres de hauteur barrant entièrement le passage. Avant d'avoir eu le temps de réaliser qu'il n'existe aucune autre issue, je suis aspiré dans un entonnoir ressemblant étrangement à la « Perte du Rhône », en amont de Bellegarde.
Est-ce une deuxième perte ?
    Instinctivement, j'aspire de l'air au maximum de ma capacité respiratoire et me dégage rapidement de mon pontage pour mettre ma tête à l'abri dans le bateau que je retourne. Sans ce réflexe, j'aurais certainement étié assommé, peut-être même décapité. De violents chocs sur lea jambes m'arrachent des cris de douleurs.
    Le temps que dura ce passage sous terre ? Je ne peux pas le dire. Il m'apparut interminable dans ce noir absolu, au milieu d'un vacarme effrayant. Lorsque réapparaît une faible lueur, je suis à moitié paralysé par le froid. Sans lâcher ma pagaie, j'émerge du bateau pour voir si ce cauchemar est terminé. Cette sorte de filtre a heureusement brisé la force du courant. La crevasse est sans doute plus profonde maintenant et j'en profite pour me glisser sous mon kayak retourné depuis qu'il me sert de « chapeau » sous-marin. Puis un demi-esquimautage, rendu pénible à cause du froid, me remet dans une position plus confortable, si l'on peut dire
Maintenant, chaque coude du torrent m'inquiète et je cherche une aspérité où je pourrais me cramponner, ne tenant plus du tout à recommencer pareille aventure.
Mais peu à peu je reprends mon sang-froid. La seule issue est la sortie des gorges, aucun espoir d'escalader des murailles verticales ne résiste à un examen sérieux. Et puis, même s'il y a une possibilité d'abandonner cette passionnante descente, le ferais-je ? Le parcours doit avoir une quinzaine de kilomètres et je ne dois plus être très loin de Génissiat. Là, le Rhone s'élargit et devient un fleuve bien sage.
    Encore deux seuils rocheux, je les saute et suis complètement submergé, mais l'horizon se dégage enfin et un pâe soleiil vient me pénétrer. Un vrai délice.
J'aborde sur la première plage de galets et vide l'eau embarquée dans ce mémorable passage sous terre. Il faut aussi que je dégourdisse mes jambes ankylosées par le froid et les chocs répétés. Je suis zébré de « bleus s, de plaies et, avec les mouvements et le soleil, le sang afflue. Ma petite trousse de pharmacie est insuffisante et je découpe des bandes dans une serviette pour panser toutes ces preuves d'une descente mouvementée.



29/07/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 10 autres membres